En France, on est souvent persuadé que connaître l’alphabet et savoir nommer les lettres constitue la 1re étape vers l’écriture et la lecture. Mais faut-il apprendre le nom ou le son des lettres ? Faut-il faire les deux en même temps ou l’un après l’autre ? En réalité, ce n’est pas la connaissance du nom des lettres qui prépare à l’écriture et à la lecture. Commencer ainsi peut même poser problème à certains enfants pour la suite des apprentissages. Pour faciliter la conscience phonologique et la compréhension de notre principe alphabétique, il faudra maîtriser le son des lettres en priorité. Si vous voulez en savoir plus et mieux comprendre la logique de l’apprentissage des sons, lisez la suite.
Apprendre le nom des lettres n’est pas la priorité
En France, on dit que les habitudes ont la vie dure et en concernant l’apprentissage de l’alphabet, c’est particulièrement vrai. On considère souvent qu’il est important qu’un enfant connaisse assez tôt son alphabet et sache nommer les lettres. Pourtant apprendre le nom des lettres ne devrait pas être une priorité, car cela peut le desservir pour apprendre à lire et à écrire.
Savoir réciter l’alphabet est différent de connaître le nom des lettres
Pour commencer, faisons un point à propos de la connaissance de l’alphabet. Ce n’est pas parce qu’un enfant sait réciter son alphabet à 3 ans que c’est un génie ou même qu’il est en avance. Cela signifie simplement que comme d’autres enfants de cet âge, il se situe probablement dans ce qu’on appelle en pédagogie Montessori la période sensible du langage. Selon Montessori, contrairement aux adultes ou même à des camarades plus âgés, entre 0 et 6 ans, les enfants entrent dans différentes périodes sensibles. Il existe entre autres celle du mouvement pour les plus jeunes, mais aussi celle des mathématiques ou celle du langage. En d’autres termes, pendant la période sensible du langage, l’enfant montre un fort intérêt envers les livres, les lettres, il peut même demander à écrire ou à lire. Il va donc naturellement absorber et apprendre plus facilement dès qu’on lui propose une activité dans ce domaine. Autre point important : ce n’est pas parce qu’un enfant sait réciter son alphabet qu’il connaît le nom des lettres de manière isolée. En plus de cela, si on lui a appris l’alphabet comme un poème ou une chanson sans contexte, l’enfant peut croire que c’est juste une récitation. Il peut ne pas comprendre à quoi servent les lettres et penser que ce ne sont que des dessins abstraits.
Connaître le nom des lettres ne doit pas être la première priorité
Connaître le nom des lettres est important mais pas urgent et cela ne doit surtout pas être une priorité dans les apprentissages. En enseignant le nom des lettres avant le son, vous allez peut-être mettre des bâtons dans les roues à votre enfant. Pourquoi ?Je vous donne un exemple. Si vous commencez par apprendre à votre enfant le nom des 3 premières lettres de l’alphabet, en voyant la lettre B, il saura par exemple la nommer en disant « bé ». Parfait. Maintenant avançons un peu dans le temps et imaginons que vous avez ainsi appris tout l’alphabet à votre enfant. À présent, vous passez à l’apprentissage de l’écriture et vous commencez naturellement avec des mots simples. Vous demandez à votre enfant d’écrire le mot « bébé ». Problème : il l’écrit « bb », car pour lui la lettre B produit le son « bé ».Il peut alors lui être très difficile de comprendre que ça ne fonctionne pas ainsi. De la même manière, si vous lui demandez d’écrire « bobo », il ne va peut-être même pas identifier qu’il y a un B, car il entend « bo » et non pas « bé ».Si au contraire vous lui apprenez que la lettre B produit le son [ b ], il devra chercher la lettre suivante pour obtenir l’autre son et ainsi construire le mot syllabe par syllabe.
Apprendre le son des lettres pour écrire et lire
Si connaître le nom des lettres est utile, notamment au moment de l’apprentissage de l’orthographe, ce n’est donc pas une priorité en maternelle. Pour commencer à écrire et à lire, les enfants ont d’abord besoin d’apprendre le son des lettres.
Comprendre le principe alphabétique
La langue française repose sur ce que l’on appelle le principe alphabétique. C’est fondamental d’en comprendre le fonctionnement avant de commencer l’écriture et la lecture. Le principe est simple. Notre langue écrite est construite avec un alphabet de 26 signes que l’on appelle des lettres. Chaque lettre produit un son. Certaines lettres combinées produisent de nouveaux sons, comme C et H pour créer [ ch ]. Grâce à ces sons, nous créons des syllabes et nous formons tous les mots de notre langue. Conclusion : si on n’a pas accès au code, au fait qu’aux lettres correspondent des sons, on ne peut former ni syllabe ni mot.Si on suit cette logique, on comprend qu’il est donc important d’apprendre le son des lettres avant leur nom. Cela peut nous sembler bizarre ou pas naturel car on est habitué à apprendre l’alphabet en premier, ça paraît logique et simple. Les enfants le retiennent comme une comptine alors que pour les sons, c’est plus complexe d’autant que certaines lettres produisent plusieurs sons. Pour commencer à apprendre le son des lettres facilement, on enseignera le son le plus fréquemment produit par chaque lettre et on amènera le reste ensuite. C’est exactement la progression suivie en pédagogie Montessori.
Utiliser le son des lettres pour commencer à écrire et à lire
Par quoi commencer pour apprendre le son des lettres ? On suit l’ordre alphabétique ? On s’intéresse aux lettres du prénom ? La pédagogie Montessori propose un ordre d’apprentissage des sons qui semble assez logique pour entrer dans l’écriture et la lecture :
- Les sons les plus simples, les sons voyelles : a, e, i/y, o, u. On part du principe que la lettre Y produit en priorité le son [ i ].
- Les consonnes « longues » : f, j, l, m, n, r, s et le son [ ch ]. Ce sont les sons qu’on peut faire durer à l’infini tant qu’on a du souffle ! Le son [ ch ] n’est en rien un son complexe. Il suffit d’expliquer à l’enfant que certaines lettres, quand elles sont ensemble, produisent un nouveau son. Plus tôt l’enfant le sait et plus cela va faciliter les choses pour la suite.
- Les consonnes « courtes » : b, c/qu/k, d, g, t. Ce sont les sons qu’on ne peut prononcer que rapidement par contact furtif entre les lèvres ou entre la langue et le palet.
- Les différentes manières d’écrire un même son, par exemple [ o ] : au, eau, o.
- Les sons complexes : eil, en, gn, etc.
En parallèle de cet apprentissage, il faudra travailler la conscience phonologique. C’est-à-dire savoir identifier le [ a ] dans abricot et déterminer s’il est au début, au milieu ou à la fin. On peut aussi faire des jeux de tri de petits objets ou de figurines : j’entends ou je n’entends pas tel son, trouver tous les objets où j’entends tel son, etc. C’est très important de donner du sens à l’apprentissage des sons en manipulant des objets concrets et pas seulement en réalisant du travail sur feuille. Quand l’enfant identifie les différents sons et connaît leur correspondance en lettres, il peut commencer à écrire et à lire.
Apprendre le son des lettres avant le nom des lettres
À la lecture de cet article, vous avez certainement compris qu’apprendre le son se fait en priorité par rapport au nom des lettres. Le nom des lettres n’est toutefois pas inutile, surtout quand on commence à s’intéresser à l’orthographe et aux mots qui comportent des lettres muettes. Pour écrire le mot « riz », il faut bien être capable de nommer la lettre Z pour expliquer qu’elle est présente à la fin. Pour apprendre le nom des lettres, vous pouvez le faire en complément des sons. Dès que l’enfant reconnaît le son produit par une lettre, on peut la nommer en disant par exemple « Oui ça fait rrrr, c’est la lettre R. » De cette manière le son et le nom des lettres vont être acquis assez naturellement l’un en parallèle de l’autre. Et vous, comment faites-vous : le nom ou le son des lettres en premier ?
Merci pour cet éclairage très intéressant.